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    • Des réfugiés ayant fui le conflit dans la région du Tigré en Éthiopie, en traversant la rivière Tekeze marquant la frontière entre l'Éthiopie et le Soudan, photographiés peu après leur arrivée sur le territoire soudanais, près de Hamdayet (est du Soudan), le 21 novembre 2020. Crédit : © 2020 AP Photo/Nariman El-Mofty
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Source: Human Rights Watch (HRW) |

Éthiopie : Nouvelle vague d'atrocités au Tigré occidental

Des enquêtes internationales et l'accès aux détenus sont essentiels pour empêcher de nouveaux abus

Sans action internationale urgente pour empêcher de nouvelles atrocités, les Tigréens, en particulier ceux en détention, courent un grave risque

NAIROBI, Kenya, 16 décembre 2021/APO Group/ --

Les forces de sécurité d'Amhara sont les auteurs d'une vague de détentions massives, de meurtres et d'expulsions forcées de Tigréens dans le territoire du Tigré occidental, dans le nord de l'Éthiopie, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch aujourd'hui.

Des civils tigréens qui tentaient d'échapper à la nouvelle vague de violence ont été attaqués et tués. De très nombreuses personnes en détention sont confrontées à des conditions mettant leur vie en danger, notamment la torture, la famine et le refus de soins médicaux.

« La nouvelle vague d'exactions des forces amharas contre les civils tigréens restés dans plusieurs villes du Tigré occidental devrait sonner l'alarme », a déclaré Joanne Mariner, directrice sur les situations de crise à Amnesty International. « Sans action internationale urgente pour empêcher de nouvelles atrocités, les Tigréens, en particulier ceux en détention, courent un grave risque. »

Depuis le début du conflit armé en novembre 2020, le Tigré occidental, un territoire administratif contesté, a été le théâtre de certaines des pires atrocités, notamment des massacres, des bombardements indiscriminés, et le déplacement forcé à grande échelle de la population tigréenne.

Le 2 décembre 2021, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a signalé que 1,2 millions de personnes ont été déplacées du Tigré occidental depuis le début du conflit. Un rapport d’OCHA du 9 décembre a constaté qu'entre le 25 novembre et le 1er décembre, plus de 10 000 Tigréens ont été nouvellement déplacés du Tigré occidental. Il a également affirmé que le Tigré occidental est resté inaccessible aux agences d'aide en raison de problèmes de sécurité.

En novembre et décembre, Amnesty International et Human Rights Watch ont mené des entretiens téléphoniques avec 31 personnes, dont 25 témoins et survivants, ainsi qu'avec des proches de personnes détenues et expulsées, au sujet des exactions commises par les milices amharas et les forces de sécurité régionales contre des civils tigréens, dans les villes de Adebai, Humera et Rawyan.

Depuis début novembre, les forces de police et les milices régionales d'Amhara, notamment les groupes de milices connus sous le nom de Fanos, ont systématiquement regroupé des Tigréens à Adebai, Humera et Rawyan. Ces forces ont séparé des familles, arrêté des adolescents de 15 ans et plus, et les civils, hommes et femmes. Ils ont expulsé de force de la région les femmes et les jeunes enfants, ainsi que les personnes malades et âgées. Certaines des personnes expulsées sont depuis arrivées dans le Tigré central, tandis que d'autres sont toujours portées disparues.

« Les Tigréens, quels que soient leur sexe et leur âge, ont été emmenés dans une école », a expliqué un homme à Rawyan qui a été témoin des rafles de porte-à-porte de Tigréens perpétrées par les milices Fano. « Ils ont séparé les vieux des jeunes, ont pris leur argent et d'autres biens. ... Les personnes âgées, les parents étaient chargés dans de gros camions [allant] vers l'est. Ils les ont laissés partir sans rien, tandis que les jeunes sont restés en arrière. »

À la suite de rafles à Humera les 20 et 21 novembre, deux témoins ont décrit avoir vu jusqu'à 20 camions pleins de personnes partir ces jours-là en direction du Tigré central.

Six témoins ont déclaré que les forces amharas avaient tiré sur des Tigréens cherchant à fuir les rafles à Adebai et les avaient attaqués avec des bâtons et des objets tranchants. Un nombre inconnu d’entre eux a été tué. « Ils ont commencé à tirer sur tous ceux qui couraient », a déclaré un agriculteur de 34 ans d'Adebai, qui a couru vers les champs voisins pour échapper aux milices de Fano qui l’attaquaient ainsi que d'autres. « Quand les gens ont essayé de s'échapper… [les Fano] les ont attaqués avec des machettes et des haches pour que personne ne puisse s'échapper… Nous passions devant des corps et nous étions tous sous le choc… Après nous être calmés, nous avons remarqué qu'il y avait aussi plus de corps là-bas. Partout où on se tournait, il y avait cinq, 10 corps. » Quatre témoins ont déclaré que des éléments armés avaient également tiré sur des Tigréens traversant vers le Soudan.

Des images satellite enregistrées entre le 19 novembre et le 5 décembre montrent une activité importante à Adebai, notamment des véhicules en mouvement, des groupes de personnes autour d'un site de détention de fortune, de grandes quantités de débris sur la route principale et des structures incendiées. Des images prises le 5 décembre à Humera montrent 16 camions à plateformes près du rond-point central de la ville.

Trois anciens détenus incarcérés à la prison de Humera, dont certains avaient été détenus jusqu'à cinq mois avant de s'évader en novembre, ont déclaré que les autorités d'Amhara les avaient maintenus dans des cellules extrêmement surpeuplées pendant de longues périodes. Les gardiens leur ont refusé de la nourriture et des soins médicaux, et ont torturé et battu des détenus dont les mains et les pieds avaient été attachés avec des bâtons et des fusils.

Un ancien détenu arrêté le 19 juillet s'est évadé vers le 13 novembre alors qu'il chargeait les cadavres de ses codétenus sur un tracteur. Il a déclaré qu'il connaissait 30 personnes décédées alors qu'il y était détenu, dont sept des 200 hommes dans sa cellule.

« Nous sommes tous passés par là [les coups] mais les plus vulnérables étaient les [hommes plus âgés] », a expliqué cet homme. « Ils ne pouvaient pas supporter la torture, c'est pourquoi ils mouraient. » Il a ajouté que les membres de la milice Fano qui les avaient battus avaient menacé de mort tous les Tigréens.

Les rafles, les détentions abusives et les expulsions forcées ont séparé des familles et laissé les communautés des trois villes désespérées, à la recherche d'informations sur la sécurité et le sort de leurs proches, dont beaucoup ont été embarqués dans des camions et sont toujours portés disparus. Un homme qui a fui Adebai fin novembre a déclaré :

« Ma femme et ma mère m'ont appelé il y a quatre jours, m'ont dit qu'ils les avaient mises dans des véhicules et qu'elles ne savaient pas où ils les emmenaient. Après ça je n'ai plus jamais entendu parler d'elles. »

Les autorités éthiopiennes devraient immédiatement cesser les attaques contre les civils, obtenir la libération des personnes détenues arbitrairement et fournir de toute urgence un accès sans entrave au Tigré occidental aux agences d'aide et aux organisations mandatées pour visiter les sites de détention, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch.

Compte tenu de la gravité des abus en cours, le Conseil des droits de l'homme de l’ONU devrait établir d'urgence un mécanisme international indépendant pour enquêter sur les abus dans le conflit du Tigré, notamment les violations graves du droit international humanitaire (les lois de la guerre), identifier les responsables à tous les niveaux, et préserver les preuves afin que des comptes soient rendus dans le futur.

Les déplacements forcés et les attaques délibérées contre la population civile violent les lois de la guerre. Toute personne détenue a le droit d'être traitée avec humanité et dans le respect de sa dignité inhérente, notamment d'avoir accès à une nourriture et à des soins médicaux adéquats. Ordonner le déplacement de civils pour des raisons non nécessaires à leur sécurité ou à des nécessités militaires impérieuses, attaquer des civils qui ne participent pas directement aux hostilités et torturer ou maltraiter des détenus constituent des crimes de guerre.

« L’immobilisme mondial sur le conflit armé en Éthiopie a encouragé les auteurs de violations des droits humains à agir en toute impunité et a laissé les communautés menacées avec le sentiment d’être abandonnées », a déclaré Laetitia Bader, directrice pour la Corne de l’Afrique à Human Rights Watch. « Alors que les preuves d'atrocités s'accumulent, les dirigeants mondiaux devraient soutenir la création d'un mécanisme d'enquête international et le Conseil de sécurité de l'ONU devrait inscrire l'Éthiopie à son ordre du jour officiel. »

Distribué par APO Group pour Human Rights Watch (HRW).